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« On ne s'est pas fait que des amis » : entretien avec Ivan Gaudé, cofondateur de Canard PC

Publié le 2 décembre 2013 à 15:25 par Baptiste Peyron et Julien Cadot | 1

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Dix ans quasi jour pour jour que le fleuron Canard PC squatte nos kiosques à journaux. Expertise, déconne, insoumission : trois maîtres mots qui peuvent expliquer une longévité devenue rareté dans un contexte de presse papier jeu vidéo clairsemée. Pour marquer le coup, CPC a donc publié dans son dernier numéro une frise chronologique relatant avec humour les étapes clefs du magazine, lesquelles n’ont rien d’un long fleuve tranquille. Preuve que l’inertie et lui ça fait deux, cela fait à peine 48 heures que Canard PC s’est installé dans ses nouveaux bureaux à l’instant où nous nous introduisons dans la rédaction. Il est 10h30, les locaux sont dépeuplés, à l’exception notable d’Ivan Gaudé — dit Ivan Le Fou —, cofondateur et directeur de la rédaction. La machine à café est enrayée, mais tant pis : cela ne nous empêchera pas d’aborder ensemble des sujets aussi sulfureux que la pérennité d’un magazine, l’indépendance de la presse jeu vidéo et les relations parfois tumultueuses que le mag’ entretient avec les confrères et, forcément, les éditeurs.

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C’est l’histoire de…

Vous avez débuté l’aventure dans une pépinière d’entreprises. Quelle est l’ambiance dans ces lieux ? Vous avez senti une émulation avec les autres boîtes ou pas du tout ?

Franchement ? Non. La pépinière, c’est très bien parce qu’on a effectivement une aide. Les locaux sont pas chers, on arrive sans avoir à s’occuper de tout un tas de merdes très chiantes quand tu montes ta boîte et que tu veux lancer ton produit : s’occuper de la sécurité incendie, être en accord avec toutes les réglementations… La pépinière, c’est carré. Il y a des toilettes, une cafétéria, des extincteurs. Ça a l’air de rien, mais c’est vachement pratique. Et puis c’est une assurance pour tout un aréopage d’interlocuteurs. Les assureurs pour les locaux : on dit qu’on est dans une pépinière, c’est carré pour eux, ils savent où ils vont. Après, l’émulation entre entrepreneurs dans une pépinière… Franchement, on n’était pas dans la bonne ambiance quoi. C’était web 2.0 : on voyait passer les mecs, on était consternés. Quand on discutait deux minutes à la machine à café avec un type, la plupart du temps on se regardait et on faisait… (il grimace)

On s’aperçoit que c’était bien le boxon au commencement quand on lit votre frise. Est-ce que la stabilité financière est venue petit à petit, ou il y a eu une décision précise qui vous a amené à celle-ci ?

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Déception : Ivan Le Fou n’est pas un lapin.

Les deux mon général. En gros, on est partis avec un capital qui nous a permis de durer trois ans. En vendant très peu, en galérant comme des malades. Au bout de deux ans on s’est aperçus qu’on allait manquer de cash pour pouvoir continuer alors que les clignotants étaient au vert. Simplement, on avait un problème de trésorerie récurrent comme toutes les petits boîtes. On manquait de moyens. Au bout de deux ans, il nous manquait les douze, dix-huit mois de perspective qui permettaient de dire « on a assez d’argent pour arriver à l’équilibre ». Donc on a commencé à chercher de l’argent, c’est ce qu’on raconte dans la frise de façon humoristique.

Tout le monde nous disait non, évidemment. Ça s’est quand même amélioré au fur et à mesure des trois ans, mais il y a deux éléments qui ont été critiques. D’une part un apport de capital. On a convaincu deux actionnaires qu’on connaissait de venir nous rejoindre sur des parts minoritaires : Materiel.net et Gandi, simplement parce qu’ils aimaient bien le projet. L’intérêt, c’est qu’ils amenaient un peu d’argent et aussi un support. Parce que nous on était journalistes, on n’est pas des entrepreneurs, donc on a un peu appris sur le tas. C’était ça : avoir des mecs qui étaient sur le net dans deux domaines complètement différents, mais avec des logiques bien spécifiques, capables de nous dire « là c’est bien, là vous allez faire une connerie ». Ils nous conseillaient, mais surtout ils nous remontaient le moral. Ça c’était très important. Ça nous a permis de passer un cap.

« Notre postulat de base c’est : « Joystick a été racheté, neuf personnes sur dix sont parties, donc le Joystick qui va exister, c’est plus Joystick. Joystick c’est nous. » »

Et la grosse décision, celle qui a fait basculer Canard PC, c’est d’abandonner le rythme hebdomadaire et de passer bimensuel comme on l’est aujourd’hui. Parce que ça fait des économies énormes au niveau de l’impression, des coûts de distribution. Et puis ça a augmenté les ventes de fait : on avait plein de gens qui nous achetaient une fois ou deux fois par mois, donc il y avait énormément de pertes sur le lectorat. Alors que le fait d’être en vente quinze jours, ça augmentait mathématiquement les ventes de chaque numéro. Plus t’es en vente longtemps, plus tu vends. Il y a une équation. Ça a dramatiquement amélioré les choses d’un point de vue financier. La société a commencé à faire des bénéfices, ou même d’être à l’équilibre, je dirais, en 2008 ou 2009 — je sais plus exactement quel est le premier exercice à l’équilibre. Elle n’avait pas de dettes pour autant. On n’a jamais eu de dettes, à part vis-à-vis des actionnaires. Bon, six ans après hein ! (rires)

Vous mentionnez 99 % d’invendus pour le premier numéro de Canard PC, c’est un vrai chiffre ?

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10 ans déjà.

C’est à peine exagéré. C’était supérieur à 90 %.

En principe, un premier numéro, ça profite de ce qu’on appelle une bulle de curiosité, ou quelque chose comme ça, là vous ne l’avez pas eue du tout. Comment l’expliquez-vous ?

Alors. On est en 2003 quand on se lance. Facebook, c’est 2004. Twitter c’est 2006. Donc le seul moyen de se faire connaître à cette époque-là, c’est soit de faire de la pub — on avait décidé dès le début qu’on n’en ferait pas, on a gardé tout l’argent qu’on avait pour tenir le plus longtemps possible sans faire de promo. Soit c’est internet, mais internet, c’est relativement balbutiant sur le jeu vidéo. Jeuxvideo.com c’est 2000, Gamekult deux ans avant. On les connaissait bien, on a profité de leur forum pour faire un peu de retape et tout. Mais il n’y avait aucun moyen de se faire connaître gratos comme aujourd’hui. Aujourd’hui, si je devais monter un magazine papier, je ferais les choses très, très, très différemment. En m’appuyant notamment là-dessus. Et puis on vivait dans une espèce d’inconscience crasse qui était : « On est l’ancienne équipe de Joystick, Joystick ça vendait encore à l’époque 80 000 exemplaires, c’est bien le diable si on n’arrive pas à convaincre un mec sur dix de venir nous voir ! » Donc on a vécu là-dessus, et la chute a été rude.

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« Ils sont indépendants, ils sont marrants et ils sont cons. »

Quand on monte un magazine, on postule que ce qu’on va écrire, ça n’existe pas ou plus pour ne pas faire de doublon. Quel était au départ votre postulat de plus-value à la création de Canard PC par rapport à ce qui existait en 2003 ?

Du point de vue éditorial, notre postulat de base c’est : « Joystick a été racheté, neuf personnes sur dix sont parties, donc le Joystick qui va exister, c’est plus Joystick. Joystick c’est nous. » En gros. Donc oui on va faire quelque chose qui n’existe pas, puisqu’il n’y a plus personne pour faire ce qu’on faisait avant. Et c’était quand même très particulier Joystick à l’époque. Donc il y a ça, et il y a « on va le faire encore plus libre et encore plus con » puisqu’on n’a plus au-dessus de nous Hachette qui, quand même, tempérait un peu les choses. Voire Disney Hachette Presse. Et dans Disney Hachette Presse, il y a Disney, qui tempérait bien les choses. Donc voilà : on va être complètement libres de faire ce qu’on veut, sur le ton qu’on veut, etc.

Et puis ça part d’un constat : en 2003, c’est déjà un peu la guerre entre le papier et internet, notamment sur le jeu vidéo et la presse informatique qui a été le premier secteur vraiment attaqué par internet, parce qu’à l’époque, les lectrices de Elle, elles ne sont pas encore connectées. C’est déjà la baston, et on ne sait pas encore qui va gagner vraiment. Gamekult, c’est surtout eux, ils font beaucoup bouger les choses, ils secouent dans tous les sens, notamment les relations avec les éditeurs, le fait qu’ils reçoivent pas les jeux, qu’ils n’ont pas le droit de publier leur truc dans les temps, etc. Ça commence un peu à tirailler dans tous les sens, on se dit : entre le mensuel et le web, il y a un écart qui est énorme, qui est le mensuel et le quotidien. On va se mettre entre les deux, et on va avoir le temps de proposer de l’éditorial comme on sait faire, mais sur une parution suffisamment fréquente pour que ça intéresse les mecs qui sont déjà sur le web. En 2003, c’est ça qu’on imagine. En 2004, ça y est, le web a gagné. (rires)

Et c’est toujours la même chose aujourd’hui ? Vous ressentez qu’il y a eu une évolution dans la ligne éditoriale, le contrat de base ?

Sur le contrat de base, je crois pas. C’est ça le postulat de base : la périodicité, et l’équipe éditoriale. Ils sont indépendants, ils sont marrants et ils sont cons. Voilà. Après, le magazine a évolué. On n’écrit plus comme on écrivait il y a dix ans, et heureusement. Le secret, entre guillemets, le problème de la longévité d’un magazine, c’est d’arriver à renouveler les équipes sans tout changer. On en connaît plein, des journaux qui ont eu une espèce d’heure de gloire de trois, quatre ans où il y avait des équipes formidables, qui faisaient un truc extraordinaire. Et puis au bout d’un moment, on sait pas pourquoi, quelquefois, c’est juste une personne qui se casse, et tout se défait. C’est ça le gros défi quand on est une équipe rédactionnelle.

« On a fait pas mal de conneries. La principale je pense, c’était de croire que parce qu’on savait faire un magazine, on pouvait lancer un magazine. »

Et là, l’équipe, on en est quasiment à la troisième. Il y a eu celle des fondateurs, il y a eu une deuxième équipe dont presque tous les gens sont partis, là on est à la troisième, et je pense que le magazine a bien sûr évolué. C’est pas uniquement une question éditoriale, c’est aussi une question de format et de produit. Il est passé d’un truc en papier journal de 32 pages, à un magazine un petit peu plus qualitatif en 80 pages. Mais sur le fond le contrat de base, non, il a pas changé, dans un milieu où il y a quand même beaucoup de problèmes…

En parlant de problèmes, vous avez qualifié la première partie de l’histoire de Canard PC d’ « héroïque ». Ces ennuis ont duré quatre ans, a posteriori, vous pensez que c’est normal pour une rédaction d’avoir ennui sur ennui pendant une si longue période ? Avez-vous fait des mauvais choix ?

On a fait beaucoup d’erreurs. Mais je sais pas si c’était des erreurs évitables. J’ai l’impression que les gens qui se sont lancés récemment, VideoGamer, JV Le Mag, ils sont bien meilleurs que nous dans la gestion d’un truc clé, qui est la distribution. J’ai l’impression qu’ils ont beaucoup moins de mal à être trouvés en kiosque que nous. Ils ont bien réussi à faire leur trou, à gérer leur affaire de ce point de vue-là. Nous on a mis presque trois ans à comprendre comment ça fonctionnait, à se retrouver avec des résultats aberrants, à pas savoir du tout d’où ça venait, etc. Donc on a fait pas mal de conneries. La principale je pense, c’était de croire que parce qu’on savait faire un magazine, on pouvait lancer un magazine. On ignorait quasiment tout de la façon dont la distribution se passait. On ignorait beaucoup de choses de la fabrication. On n’était pas du tout entrepreneurs. On savait pas se vendre. Voilà. Les difficultés sont dues au fait, qu’aussi, on lançait un magazine qui a été vu assez rapidement avec antipathie du milieu.

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Canard PC grille la priorité sans le savoir à PC Jeux en faisant sa une sur un jeu qui leur était exclusif.

Pourquoi ?

Parce qu’on mâchait pas nos mots. On le faisait pas tellement à Joystick, mais le problème à Joystick c’est qu’on était leaders, donc tout le monde était un peu obligé de passer sous nos Fourches Caudines. Là d’un coup, on était le petit challenger dans son coin, personne s’est gêné pour nous marcher dessus quand ils en avaient l’occasion. Et puis on a fait un truc qui avait, l’air de rien, foutu pas mal de boxon : on était hebdo, donc on avait cinquante couvertures à remplir par an. Le système qui était installé avant ça — et ce dont on voulait se sortir —, c’était le système de négociation permanente sur les couvertures de magazines avec les éditeurs. C’est-à-dire que dans l’ère pré-internet, ce qui faisait vendre les magazines, c’était le CD qui était vendu avec, avec les démos des jeux qu’il n’y avait aucun moyen d’avoir sinon, vu que c’était des démos exclusives.

Et souvent, le deal habituel, à Joystick en tout cas, c’était « ce jeu est prometteur, il nous plaît bien, on passe un accord avec l’éditeur, on fait la couv sur ce jeu moyennant quoi l’éditeur s’engage à nous filer la démo exclusive ». Ça c’était le deal de base des années 90. Sauf que, quand on est Joystick et qu’on fait un peu ce qu’on veut, ça va. Mais quand il y a trois, quatre magazines qui se battent pour avoir le même deal, fatalement ça devient un sac de nœuds. Il y a des traîtrises, il y a des gens qui font de la surenchère, qui vendent leur édito pour avoir le truc, ça devient compliqué quoi. Et nous on avait bien vu à l’époque qu’internet allait fracasser tout ça. Que ça résistait, parce que les magazines papier étaient encore assez puissants. Donc les éditeurs hésitaient à s’attirer les animosités, notamment vis-à-vis de Gamekult qui bougeait beaucoup, et qui râlait beaucoup sur le fait que la presse papier lui mettait des bâtons dans les roues — ce qui était tout à fait exact.

« Un truc nous plaît ? Eh bien on fait la couv dessus. On demande ni oui ni merde à personne, et on demande rien en échange non plus. Il n’y a pas un seul deal sur Canard PC. »

Et donc nous on voulait sortir de ce système, faire un truc de presse normal. Un truc nous plaît ? C’est l’actualité de la semaine ? Eh bien on fait la couv dessus. On demande ni oui ni merde à personne, et on demande rien en échange non plus. Il n’y a pas un seul deal sur Canard PC, puisqu’on n’a rien à proposer. Je veux dire, qu’est-ce qui pourrait nous intéresser chez l’éditeur ? Bon, oui, un reportage que les autres n’ont pas. Mais sur une semaine de parution ? On s’en fiche. Donc on faisait ça. On prévenait : « Ah au fait je te dis, dans trois jours la couv de Canard PC c’est ton jeu. » Ah ? (rires) Et ça foutait le bordel.

Parce que ça sortait du plan com des éditeurs.

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La première couv’ négative de l’histoire de la presse JV.

Voilà, on sortait de leur plan com, c’était pas dans leurs habitudes. Théoriquement c’est tout bénef. Sauf quand on faisait des couv’ négatives. (rires) Et puis, sauf quand ils avaient déjà dealé une exclu avec un autre magazine. Ce qu’on ignorait parce qu’on posait pas la question, on voulait surtout pas le savoir. Et que l’autre magazine se retrouvait à sortir avec Canard PC qui était sorti parfois une semaine ou deux semaines avant sur le même jeu. Et ça aussi ça allait contre les habitudes, ça faisait râler. Donc on ne s’est pas fait que des amis. Heureusement on était des vieux de la vieille, on connaissait bien le milieu, donc il y avait toujours moyen de rattraper les choses. Et puis les gens nous faisaient confiance par rapport à des gens qui auraient débarqué de nulle part. C’était quand même beaucoup moins difficile pour nous d’avoir accès aux voyages de presse, aux versions test, de discuter, d’avoir les contacts qu’il fallait.

Par contre on était un peu des trublions, et donc en matière commerciale, c’était extrêmement difficile, et ça l’est toujours. C’est d’ailleurs l’un des éléments critiques de ce milieu en ce moment, c’est la question de la pub. Nous on était partis avec personne qui savait vendre, ou qui était commercial dans l’équipe. De ce fait on s’était dit : « On peut pas faire reposer un élément important du business plan de la boîte sur une compétence qu’on n’a pas. » Donc si c’est extérieur, il faut forcément que ce soit pas important. C’est pour ça que Canard PC a été monté sur un business model qui comprenait une part de pub négligeable. C’est juste parce qu’on n’avait pas la compétence. Si parmi nous il y avait eu un commercial de formation, peut-être qu’on aurait fait autrement. C’était une évaluation des atouts qu’on avait, et construire un magazine et un business autour qui tiennent compte de ce que nous on savait faire.

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Le matériel y passe aussi…

Et donc vous allez mieux depuis six ans ?

Oui on va beaucoup mieux. Ça fait quatre ou cinq ans qu’on est à l’équilibre, qu’on dégage de petits bénéfices. Rien de mirobolant. Parce que dès qu’on a un peu de marge, on augmente les salaires, parce qu’on partait vraiment de très, très bas. Ou on embauche des gens. On était cinq au départ, aujourd’hui il y a une quinzaine de personnes qui vit du magazine. On a les moyens de travailler ailleurs que dans une cave, on n’en est plus à se demander comment payer les salaires dans six mois si tel ou tel numéro ne marche pas. Alors ça reste une toute petite boîte avec un chiffre d’affaire qui est modeste — de mémoire c’est 1,5 millions annuel. Mais c’est des bases assez saines, on n’a pas de dettes et puis on a une liberté quasi totale. Les seules contraintes qu’on a, c’est des contraintes économiques. Je ne les sous-estime pas. Mais au jour le jour on fait ce qu’on voulait faire.

Et donc vous préférez augmenter les salaires plutôt que distribuer des dividendes ?

Il y a jamais eu de dividendes à Presse Non-Stop et je suis pas sûr qu’il y en ait un jour parce que c’est pas dans notre philosophie de l’actionnariat.

Les actionnaires sont d’accord avec ça ?

Les actionnaires, c’est les cinq fondateurs, qui étaient tous journalistes, dont trois sont encore dans la société. Et puis nos deux autres actionnaires sont tout à fait d’accord avec ça. Ça faisait partie du contrat initial et de l’état d’esprit dans lequel ils sont venus dans la société.

Vous avez un avocat à la rédaction. Qui écrit. C’est devenu nécessaire rapidement pour assurer vos arrières ou vous l’avez engagé pour un fait précis ?

Non. Ça s’est fait de façon plus idiote. Un des gros avantages de Canard PC, c’est qu’on a suscité des sympathies quasi désintéressées. C’est le cas de nos deux actionnaires. C’est le cas aussi de notre avocat qui aimait bien le journal et s’est proposé un jour de faire des chroniques juridiques sur le jeu vidéo. C’est Grand Maître B. Il a commencé comme ça, en faisant des chroniques à l’œil. Juste parce que ça l’amusait. Il a commencé sur notre site web et puis finalement c’est venu dans le papier.

Et comme il se trouve que ses compétences correspondent à un certain nombre de besoins de temps en temps, à savoir l’économie numérique, le droit de la presse, il nous a représenté en une occurrence extrêmement importante qui est le procès que nous avons eu à la suite de l’affaire Heden/PCA. Pour mémoire c’est un constructeur-importateur d’alimentation de PC qui était très, très fâché : on avait montré que ses alims ne respectaient pas un certain nombre de normes et se mettaient même à flamber. Il nous a donc attaqué avec la certitude qu’on plierait puisqu’il avait, suite à la parution de notre truc, envoyé des lettres comminatoires à tout ce qui se faisait dans le web pour empêcher la reprise de notre truc. La plupart se sont exécutés. Il était persuadé qu’on allait retirer notre affaire, vu que, s’il gagnait, il coulait la boîte. Il nous demandait des sommes faramineuses, et il était très, très déterminé.

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Les lapins et la justice, le résumé par là.

Et comme souvent dans l’histoire de Canard PC, il a totalement sous-estimé notre idiotie. Et donc on a décidé que non, si on devait couler là-dessus, bah ce serait bien, en accord avec ce qu’on faisait. On était certains que le test était sérieux. On était certains que ce qu’on avait dit valait la peine d’être dit. Donc on a été jusqu’au bout. Et là-dessus, Grand Maîre B. nous a représenté.

Vous avez gagné récemment d’ailleurs.

On a gagné une première fois. Il a fait appel. Le jugement a été un petit peu plus modéré : c’est-à-dire que le juge nous reprochait un ou deux termes, donc il a un petit peu partagé les responsabilités entre guillemets. Mais oui, il n’a obtenu ni le retrait de l’article, ni les sommes qu’il demandait. Le jugement confirme que l’article est sérieux, journalistique, pas attaquable. C’est ce qu’on souhaitait.

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Oh, et il y a 10 ans presque jour pour jour, ça ressemblait à ça.

Qu’en est-il de votre relation avec les éditeurs ? Vous êtes fâchés avec certains encore ? Est-ce qu’être fâché avec un éditeur ça ne devrait pas être la légion d’honneur dans le journalisme ? Est-ce que le copinage entre éditeurs et journalistes c’est quelque chose de normal ?

C’est une question compliquée. On n’est jamais fâchés très longtemps. C’est rare. Il y a des éditeurs qui se fâchent parce qu’ils considèrent qu’on traite mal leur jeu. Et puis le jeu suivant, il est bien, on le traite bien et ils sont un petit peu moins fâchés. Et puis le jeu d’après il est très mauvais, on le traite très mal, et donc ils sont à nouveau fâchés. Tout ça fait partie du cycle normal des relations. Fâché, fâché, ça dépend ce que ça veut dire. On parle de blacklistage : c’est arrivé, ça arrivera encore. Et ça dure le temps que ça dure. Il y a des éditeurs qui ont cessé de nous inviter à tous leurs événements, parfois pendant longtemps. Il y a des éditeurs qui ont cessé, ou qui n’ont jamais investi en pub dans le magazine. Ça dure encore. Fâché, c’est ça.

Après, on est obligés d’avoir une relation avec les éditeurs pour une raison très simple : on pourrait imaginer un monde parfait où les journalistes attendraient la sortie du jeu, l’achèteraient, feraient leur test, publieraient leur truc, et n’auraient absolument aucun besoin d’être en contact avec les éditeurs du jeu. Sauf que ça veut dire concrètement que : le jeu sort, on l’achète. Si c’est un gros jeu, il faut une petite semaine pour tester. Si ça tombe pas bien, il faut deux semaines pour que le magazine sorte. Donc ça veut dire que le test, il sort trois semaines après la sortie du jeu. Ça veut dire qu’en gros, on a laissé totalement libre cours à la communication de l’éditeur, et que le gars qui était intéressé par le jeu, si dans les trois premières semaines il l’a pas acheté, c’est qu’il était pas vraiment intéressé. Quand le test sort, il sert plus à rien.

C’est le même principe que pour la critique cinéma. Il y a des projections presse, pour que les articles puissent sortir — ou pas d’ailleurs — au moment où les films sortent. Parce que c’est à ce moment-là que le client, le lecteur, l’auditeur a besoin de son information. Pas une semaine après. Parce que c’est le mercredi soir qu’il veut regarder son film. Ou le samedi. Dans le jeu vidéo on a le même problème, un peu accentué à cause de la timeline qui est très étirée, parce que c’est pas deux heures de film, c’est parfois vingt heures de jeu. Ça c’est le cadre obligatoire. Alors après il arrive que les éditeurs n’envoient pas les jeux, on les achète en magasin, et on est en retard. Et alors ? Une fois de temps en temps c’est pas grave.

Les relations elles sont là. Il y a des éditeurs avec qui ça se passe bien, d’autres avec qui ça se passe moins bien. Il y a des gens qui sont très sympas avec qui on travaille jamais parce que, pff, c’est pas possible. Et puis il y a des gens qui sont pas sympas et avec qui on travaille tout le temps parce que c’est comme ça. C’est d’autant moins grave maintenant que le grand n’importe quoi se passe sur le web, et que Canard PC a une aura, une réputation et un cercle de lecteurs fidèles qui savent que si le test n’est pas sorti au moment où le jeu est sorti… c’est qu’il y a un petit problème. (sourire) Et donc ils attendent un peu. Et puis on arrive derrière avec quelque chose d’un peu plus analytique.

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Canard PC émerge des cendres de Joystick.

C’est quoi ce grand n’importe quoi que vous évoquez ?

C’est compliqué, parce que les raisons sont structurelles. Mais aujourd’hui, pour un site web, il n’y a pas d’autre solution qu’être à l’heure T, à la minute M et à la seconde S sur la sortie d’un article ou d’un test. Parce que les premiers arrivés sur le net sont les premiers servis, à cause de Google, à cause du référencement et à cause des lecteurs qui sont très volatiles. Donc celui qui sort son test en premier c’est celui qui rafle le maximum de l’audience. Et il a besoin de cette audience et de son nombre de pages vues pour vendre ses bannières. Donc les sites se livrent une espèce de concurrence effrénée pour sortir leur test le premier exactement à l’heure dite. Et faire quinze mille news par jour, parce que c’est celui qui fait le premier la news en question qui va ramasser l’audience sur cette news, et qu’après ça vaut plus rien.

« Les sites internet ont l’œil rivé sur l’audimètre de leur site et il faut absolument que ça monte, et que ça monte… et on juge les articles en fonction du nombre de clics. »

Donc eux, ils ont une pression énorme qui est la pression de l’audimat de la télé des années 90. Depuis deux, trois ans, ils sont vraiment dans le cas le plus critique de la télé audimat. Ils ont l’œil rivé sur l’audimètre de leur site et il faut absolument que ça monte, et que ça monte… et on juge les articles en fonction du nombre de clics et du nombre de pages vues, etc. Donc ça, ça annihile toute tentative de prendre son temps, de sortir des trucs un peu réfléchis. Ils sont très contraints.

Il faudrait quoi ? Avoir beaucoup plus de sites qui publient le test d’un jeu avant l’heure dite ?

Ils sont morts s’ils font ça. Ils vont gagner à être le premier sur un coup, et tout le reste de l’année, ils sont morts. C’est vraiment pas possible pour le coup. De toute façon, par principe, si tu signes un NDA, tu le respectes. C’est un contrat, un accord.

Même si sa valeur juridique reste contestable en France ?

Oui. Peu importe la valeur juridique. Un NDA, pour moi, ça a autant de valeur par écrit sur un texte anglais, que par oral au téléphone. Si je dis à quelqu’un « okay, je vois ton truc, mais je le publie pas avant le lundi 2 décembre », je le respecte. Ou alors je lui dis « non, je suis pas d’accord ». Après, avec les NDA, il y a des trucs vraiment très, très rigolos — c’est plus dans le matos, mais il n’y a pas de raison que ça vienne pas au jeu vidéo un jour ou l’autre —, c’est que les constructeurs font signer des NDA qui dépassent la date de sortie du produit. Donc le gars qui signe le NDA, il est coincé, et ceux qui ont pas signé, ils voient le produit sortir, ils l’achètent, et ils en parlent avant lui. Ça devient aberrant.

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JV, né des cendres de Joystick lui aussi… mais 10 ans plus tard.

Le nouveau magazine JV, ils ont pris le parti de ne pas noter les jeux qu’ils testaient. Les notes, ça reste toujours un système de mesure pertinent ?

On a eu une philosophie variable. L’équipe des fondateurs est issue de Joystick qui, à une époque, notait sur 100. Et donc, au point près, c’était des discussions à n’en plus finir pour savoir si tel jeu il fallait lui mettre 94 ou 95, sachant qu’on faisait toutes les archives du journal depuis trois ans pour dire « tel autre a eu 95 est-ce que c’est mieux ou pas ? Oui mais nan il faudrait mettre 1 point de plus, 1 point de moins que celui-là ». Bref c’était n’importe quoi. Donc nous on est passés à une note sur 10 dès le début pour simplifier. Au bout d’un moment on aurait bien voulu se séparer de la note, et puis, pff, les lecteurs étaient quand même vachement attachés. On avait envisagé plusieurs hypothèses délirantes, et puis on est revenus là-dessus, puisque finalement, la note c’est quand même la sanction. Et même si ça a un côté scolaire, nous, de notre point de vue, c’est faire le jeu des éditeurs de pas mettre de note. JV Le Mag, je trouve intéressant beaucoup de choses qu’ils font, je comprends le point de vue, mais ne pas mettre de notes, c’est la garantie de pas avoir de problèmes.

Parce que l’éditeur ne lit que la note.

Exactement. Enfin, l’éditeur… C’est même pas l’éditeur, c’est la boîte de com, ou le distributeur qui fait ses rapports à l’éditeur. Il fait des condensés, il veut des notes, il veut du Metacritic. Un truc où il n’y a pas de note, il peut très bien l’ignorer, ne pas en faire état si ça l’arrange pas. C’est la garantie de pas avoir de soucis. Nous on pense pas que le jeu vidéo soit un art, donc on voit pas pourquoi ce serait pas noté. Et puis… JV Le Mag, ils font des notes, il y a des petits bonhommes… Mais pour la position qui est la nôtre, autant à une époque on a hésité, autant à cette époque-là, avec ce fonctionnement du marché, ces relations qu’on a avec les éditeurs, on tient beaucoup à la note. Quitte à s’en moquer régulièrement, pour montrer que c’est quand même le texte l’important, les gars ! Au final il faut quand même un truc synthétique qui dise « c’est bien, c’est pas bien » pour telle ou telle raison. Dire je ne mets pas de note, et mettre des petits personnages qui font une note sur 4, je… bon…

Est-ce que vous croyez que la plateforme de téléchargement Steam a bouleversé la portée du test ? Ils ont lancé une mécanique d’achat qui fait que les gens n’attendent plus le jour de la sortie, mais un an pour que le jeu soit à quatre ou cinq euros. Est-ce que le test perd en pertinence avec ce système-là ?

« On ne peut pas noter de la même façon un produit qui vaut soixante-dix euros et un jeu qui en vaut cinq ou dix. Ça n’a pas de sens. »

J’ai pas l’impression. Au contraire. Au moment où on se dit « ah, tel jeu est en soldes à quatre euros, ça vaut quoi déjà ? », on n’a qu’à regarder le test paru plusieurs mois avant. En plus nous, dès le début, on avait brisé une autre façon de faire des mensuels de l’époque, qui ne testaient pas en fonction du prix. On a vu arriver le changement quand Steam s’est lancé quasiment en même temps que Canard PC. On s’est dit « oh la la, là il commence à y avoir un truc ». Il a commencé à y avoir les jeux indés, etc. Or on ne peut pas noter de la même façon un produit qui vaut soixante-dix euros et un jeu qui en vaut cinq ou dix. Ça n’a pas de sens. Donc on s’est mis très vite à noter en fonction du prix, aussi, et à l’indiquer clairement. Du coup, par rapport à ce que vous dites sur Steam, on est raccords.

Ce que Thierry Platon pense de la PS4…

« « Elle aura quoi de plus la PlayStation 4 ? » Tous mes potes me posent la question. Bah, ce sera plus beau, il y aura plus de polygones… alors que tout le monde s’en pète, quoi ! Pff, elle était bien la PS2. Il y aura plus de polygones, donc ça coûtera encore plus cher, donc les éditeurs vont être encore plus mis à l’amende, ils prendront encore moins de risques. Ce qui va sortir au début sur PS4, ça va être que du gros lourd. Du gros lourd inintéressant. »

Extrait de notre interview publiée le 18 mai 2013

Aujourd’hui vous vous appelez toujours Canard PC et vous sous-titrez désormais « le magazine du jeu vidéo PC et Consoles ». Est-ce un paradoxe ou une obligation ? Est-ce que la position d’un militantisme pro telle ou telle plateforme a encore du sens aujourd’hui ?

Oui et non. Ça en a beaucoup moins qu’avant. Parce que la génération précédente des consoles, la 360 et la PS3, ont quand même pas mal bouleversé le système, et font que les grands hits aujourd’hui, les blockbusters, sortent sur toutes les plateformes. Ils sortent sur toutes les plateformes, et ils sont conçus avant tout pour console. Du coup le fait d’être arc-bouté sur le PC, pour tout un pan de l’industrie et des jeux les plus populaires, ça n’a plus tellement de sens. Ensuite, il y a eu une montée des indés aussi sur console, du coup il y avait aussi plus de jeux qui nous intéressaient, bizarres, ambitieux du point de vue du gameplay, mais que les magazines classiques ne traitaient pas bien. On se disait : « C’est con que nous on le fasse pas parce que c’était historiquement notre façon de faire, etc. » Voilà pourquoi.

Après, il y a toujours eu de la console dans Canard PC. Dès le premier numéro. Mais on s’est dit qu’il fallait sauter le pas, vraiment essayer de trouver une manière de faire qui soit la nôtre. Qui ne soit pas, comme on faisait avant, « le joueur PC qui regarde la console », mais une façon de traiter la console qui soit raccord avec les deux, trois guidelines qu’on a nous sur PC. C’était d’abord trouver les bonnes personnes. Et puis c’était une question d’opportunité, d’avoir les moyens financiers de rajouter des pages pour que ça ne prenne pas des pages à nos lecteurs qui auraient hurlé. Que ça en rajoute sans augmenter le prix. Il fallait être assez costaud, c’est pour ça aussi qu’on ne l’a pas fait avant. Il ne faut jamais oublier que c’était 64 pages. On a rajouté 16 pages pour faire la console, ça n’a rien coûté à personne, le prix n’a pas changé.

Mais il y a toujours aujourd’hui une pertinence à s’occuper du jeu PC stricto sensu. Il ne faut pas oublier que Steam a sauvé le jeu PC. Il y a des jeux qui sont des jeux PC, qui demandent un clavier et une souris. Mais les deux peuvent très bien cohabiter. Moi je pense, et la plupart de nos lecteurs aussi visiblement, parce qu’on a des bons retours, que le fait d’intégrer la console, ça a un peu redynamisé le journal, ça nous a permis de sortir du trip PC œillères qui menace tout le temps. Parce qu’à force de rester concentré sur un seul sujet assez pointu, il y a le risque de ne pas voir ce qui se passe ailleurs. Et ça correspond tout à fait à l’état du marché du jeu vidéo.

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Suite et presque fin en kiosques !

Il y a aussi le fait que les consoles deviennent de plus en plus des PC.

Sur cette génération-là, c’est flagrant, au point qu’il est plus facile de jouer sur PC que sur ces nouvelles merdes. (rires) Je suis scandalisé par ce qu’ils font. On va voir comment ça va tourner, mais aujourd’hui il est plus simple d’installer un jeu sur ton PC que de l’installer sur ta console. Parce que, déjà, aujourd’hui, on achète la console, on la branche chez soi, elle marche pas. Il faut 1,3 giga de patch pour la Xbox One, 500 méga pour la PlayStation 4, c’est juste hallucinant ! Et les jeux sont sur CD, mais il faut les installer, ils font 60 giga chacun, alors que le disque dur fait 500 giga… Ils marchent sur la tête.

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Exclu : la version numérique du .gif papier du Canard PC anniversaire.

Sur votre frise vous évoquez aussi les dessous de « l’affaire Söldner » : la grande époque du jeu offert en bundle avec l’abonnement, c’est donc révolu ?

Non, c’est pas révolu en soi. Quand on a une opportunité, qu’un jeu est vraiment bien, et qu’on peut trouver un accord avec l’éditeur sur le prix du jeu qui permettrait à nos lecteurs de bénéficier d’un truc intéressant, je vois pas pourquoi on se priverait.

Est-ce que ça rapporte vraiment aux magazines ?

Les accords d’abonnement, ça ne rapporte rien d’autre que des abonnements si ça marche. Le principe, c’est qu’on achète prix de gros à l’éditeur un certain nombre de jeux qui font partie de l’offre d’abonnement, et le prix de l’offre est calculé de façon à ce qu’elle accorde une grosse réduc pour le lecteur par rapport au prix normal de l’abonnement. Pour l’éditeur, d’une certaine manière, c’est de la promo pour son jeu. C’est ça le deal : un échange de bons procédés. Ce ne sont pas sur les deals de jeux avec abonnement que se font les magouilles. C’est pas ça le problème.

C’est quoi le problème ?

C’est tout le reste. C’est tout ce qui n’est pas visible. C’est tous les papiers de quatre pages avec zéro infos dedans. Là, pour les lancements des consoles, c’était quatre pages sur l’arrivée de la PlayStation 4 à la rédaction, photographiée sous toutes les coutures, alors que la console, c’était un truc vide, parce qu’il n’y avait pas de console en France. Pareil pour la Xbox One. Dix minutes de vidéo à comparer, à mesurer, alors que c’est un truc vide, qu’il n’y a rien dedans. Donc on les pèse pas évidemment, sinon ça se voit. Mais on les mesure par contre. Donc voilà, même si c’est pas dealé, c’est un problème journalistique énorme. C’est de l’info qui n’a pas d’intérêt, c’est de la com. C’est faire le relais de la com de l’éditeur en pensant que ça a un intérêt pour les lecteurs.

Usul et la liberté de ton

« Il y a des trucs qui changent sur Jeuxvideo.com. À l’époque, quand ils m’ont engagé, c’était parce qu’ils voulaient draguer le public des jeunes qui regardent Norman. Ils disaient : « Ce serait bien que tu fasses plus de références à la culture TF1, Koh-Lanta, tout ce que les gens aiment bien. » En fait ça les emmerdait que je parle que d’auteurs classiques. Moi j’ai dit : « Oui, oui, okay ! » Mais je l’ai pas fait ! (rires) Je regarde pas Koh-Lanta, c’est pas ma culture, qu’est-ce que j’ai à dire sur Koh-Lanta ? J’ai offert autre chose, et il se trouve que les gens ont suivi. Et sur internet, quand les gens suivent, bah, c’est l’essentiel. Ils se sont rendu compte qu’en nous laissant plus de liberté, ça marcherait plus, et qu’en étant plus épanouis, on ferait des trucs meilleurs que si on nous filait un cahier des charges relou. »

Extrait de notre interview publiée le 17 novembre 2012

Vous suivez la presse JV internationale à Canard PC ? Vous avez remarqué de grandes différences dans la qualité de la presse d’un pays à l’autre ?

On la suit assez peu pour être tout à fait honnête. En Europe, les deux presses papier qui sont encore vigoureuses, c’est anglaise et allemande. Allemands on suit pas du tout. Anglais on sait très bien comment ça marche, du coup, voilà. Donc non, on suit les sites.

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Au commencement était aussi Ackboo.

Vous avez un top des sites que vous préférez ?

Moi je trouve qu’il y a une énorme dégradation de la qualité rédactionnelle des sites. Il y a une époque — au siècle dernier malheureusement — où il y avait deux, trois sites américains qui se lançaient et qui faisaient des trucs formidables. Je pense à la première version de Gamespot. Aujourd’hui ils se sont entrebouffés. Je fondais un peu d’espoir sur Polygon mais ils font n’importe quoi. Ils se sont un peu ridiculisés sur au moins deux affaires, dont Sim City.

L’affaire du changement de note ?

Oh la la… la honte, la honte ! Donc bon, on les suit, on fait une espèce de veille d’actu parce que évidemment ils sont mieux placés que nous pour avoir des entrées chez les éditeurs, ils ont souvent des trucs un peu en avance, donc ça permet de savoir où est-ce qu’il faut téléphoner. (rires)

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Et Gana.

Bref c’est juste une base de données. Même pas de sites français ?

Netsabes, un membre de la rédaction, est un des fondateurs de NoFrag, donc oui. On se compare, on regarde quand même ce que font les confrères, mais pff… (il fait une pause) Moi je trouve que la façon dont a évolué Jeuxvideo.com depuis un ou deux ans est intéressante. Ils ont un peu durci leur jeu, donc c’est pas mal, et puis il y a le fait d’avoir recruté des gens qui font de la vidéo et qui font des choses intéressantes. Gamekult c’est des gens avec qui on a quand même pas mal en commun sur la façon de travailler. Donc on va voir aussi ce qu’ils font, quitte à pas être d’accord sur telle et telle note.

Le truc c’est qu’on reste assez PC, et que notre approche de la console est quand même assez différente de celle des autres sites. Et puis on n’a pas d’impératif d’audience à court terme. C’est vrai que nous, ce qui nous intéresse plus, c’est des trucs un peu plus analytiques, plus longs, ce qu’on fait par exemple dans le cadre d’Arrêt sur Images. C’est quelque chose qu’on développe beaucoup depuis un an. Et je pense que, pour nous, papier, c’est ce qu’il y a de plus intéressant à faire en ce moment.

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Et aussi Captain Tarace.

La numérisation de votre publication, ça a bien marché du coup ?

On a beaucoup expérimenté. À l’origine, on s’est posé la question de savoir si les tablettes, c’était un nouveau média, ou si c’était juste un nouveau mode de distribution. On s’est dit « allez c’est un nouveau média », on va faire des trucs nouveaux dessus. (silence) En fait non. (rires) Non, non, ça marche pas ! Ça ne provoque pas d’affolants enthousiasmes chez les lecteurs, et ça prend beaucoup trop de ressources pour que ce soit intéressant, ou même viable économiquement. On a fait pas mal de tests et aujourd’hui on est revenus à des versions PDF légèrement enrichies. On essaie de décaler, c’est-à-dire que la version numérique est mensuelle. Elle regroupe deux numéros, parce qu’une version numérique tous les quinze jours, ça nous semblait pas super intéressant. Ça permet de décaler un peu par rapport au magazine papier. Et ça permet aussi de rajouter du contenu : il y a des rubriques qui sont exclusives au numérique.

Et le fait d’être passé en PDF, de ne plus avoir dix jours de production graphique dessus, ça permet de faire autre chose, ça permet surtout de baisser le prix. C’est-à-dire qu’aujourd’hui un Canard PC papier c’est 4€30. On en regroupe deux, et on le fait à 2€69. Parce que notre idée, c’est que ceux qui s’intéressent au numérique n’ont pas envie de payer le même prix que le papier. C’est aussi l’idée de mettre à portée d’une partie du public qui ne va pas dans les kiosques, soit parce que c’est chiant et qu’ils sont loin d’un kiosque, soit parce que c’est trop cher. Et effectivement, Canard PC est trop cher. On est d’accord. On peut juste pas faire autrement. C’est vrai, je trouve ça affreusement trop cher. Là on fait une offre qui leur dit en gros « t’as le choix entre 2€69 euros sur ton téléphone, ta tablette ou une Windows 8, ou bien gratuit mais il faut te taper des scans pourris sur BitTorrent ».

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Bouffez des tablettes, qu’y disaient.

On se souvient d’une presse JV avec la grande époque des délires vidéo de Joystick, des trombinos à Consoles +, à Joypad, etc., est-ce que vous diriez que la plupart de ces titres ont coulé, en partie aussi parce qu’ils étaient moins marrants ?

Je pense que le seul titre qui incluait vraiment le côté humour et farce dans sa ligne éditoriale, c’était Joystick. Même Joypad c’était pas poussé aussi loin. Donc j’ai pas l’impression que les autres se soient cassé la gueule parce qu’ils faisaient pas ça. Ils se sont cassé la gueule pour plein d’autres raisons. Est-ce que la presse est trop sérieuse ? Sûrement. Ça demande de pouvoir se planter. Et ça c’est rare, aujourd’hui, d’être dans des configurations où on a le droit de se planter un nombre de fois raisonnable pour arriver à faire quelque chose. Il faut pas avoir peur d’aller un coup trop loin, parce que c’est arrivé aussi chez nous sans que ça ait des conséquences catastrophiques. Et puis il faut du temps. Beaucoup de liberté. Une rédaction, il faut pas que ce soit que des pigistes qui travaillent chez eux, il faut être ensemble, pouvoir confronter les idées avec les copains, que tout le monde te dise « houla, elle est pourrie ta blague ». C’est une alchimie. Et en même temps, c’est con à dire, mais c’est difficile d’être drôle.

Boîte noire

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À propos des auteurs

Baptiste Peyron

Baptiste PeyronRédacteur en chef adjoint dédié corps et lames au monde merveilleux des jeux vidéo. Gamer gourmet, j'engloutis quantité de films et de bouquins dans l'espoir un peu vain de me désintoxiquer de ce supplice virtuel que je soupçonne d'être responsable de la misère dans le monde.

Julien Cadot

Julien CadotRédacteur en chef, responsable de la rubrique Science, technologie et futur. Techno-critique consciencieux, préfère élever la réflexion plutôt que la voix.


Une réponse à « On ne s'est pas fait que des amis » : entretien avec Ivan Gaudé, cofondateur de Canard PC

  1. Super entrevue, vraiment ! Merci.

    Vu que j’en avais marre de trouver que trop rarement le magazine en Belgique (qui plus est plus cher qu’en France), je suis effectivement passer à la version Android la semaine dernière.

    J’attends maintenant que le CPC Hardware passe lui aussi sur Android, puisqu’il est mon achat régulier depuis 2011 (alors que j’ai dû acheter seulement 3 CPC normaux depuis, environ, ce qui va changer avec la version dématérialisée où j’y trouve plus mon compte niveau intérêt/prix).

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